Solidement accrochée à mon tympan.
Une bactérie musicale était parvenue à trainer son corps gluant jusqu’au fond de mon oreille. Ils avaient trafiqué un haut-parleur et m’avaient téléporté ce micromutant par ondes radio. Son chant redondant en boucle répétitive m’obnubilait. Vite, je devais me délivrer de cette maladie bémol.
J’ai essayé de la noyer en me versant de l’eau dans l’oreille. L’eau du robinet ne ralentissait pas ses gargouillis musicaux. L’eau de la douche non plus. Ni l’eau en bouteille. J’avais même l’impression que je l’entendais se gargariser avec tout le liquide que je venais de lui envoyer. L’eau, l’eau, l’eau.
Puisqu’elle résistait à toutes les formes d’eau, j’ai changé de stratégie en optant pour du solide. Ils ont peut-être inventé un monstre microscopique imperméable, mais un monstre, aussi indélébile qu’il soit, peut toujours se faire écrabouiller. C’est même plus propre ainsi. Le jus d’organes reste à l’intérieur de la carapace.
J’ai dégainé un cure-oreille.
L’opération devait être délicate si je ne voulais pas m’assourdir. Heureusement, je suis agile jusqu’au bout des doigts. J’ai enfoncé mon arme dans mon conduit auditif comme une clé de sol qui lui déverrouillerait la portée de son refrain. Elle résista au premier assaut. J’ai pilonné. J’ai ramoné. Mais le mélo-organisme poursuivait sa chanson, sur un ton aussi joyeux que si je le chatouillais.
Et ça empirait.
Non seulement la bactérie s’était multipliée pour occuper toute ma tête, elle prenait maintenant le contrôle de ma bouche, ma langue et mes cordes vocales. Un cancer auditif, un concert en phase terminale avec des métastases en fa dièse. Je ne devais pas la laisser s’en prendre au reste de mon corps. Je ne voulais pas devenir un zombie dansant.
J’ai chantonné jusqu’à la cuisine et me suis arrêté en face du four micro-ondes. Cet appareil dangereux allait certainement la faire changer d’air. J’ai ouvert la porte. J’ai pris une grande inspiration. J’ai fermé les yeux. Et je me suis mis la tête dedans.
Mais non, je n’ai pas fait partir la minuterie. Je n’avais besoin que d’une faible dose de radioactivité pour exterminer ces minuscules parasites. Les ondes résiduelles suffiraient à les désintégrer sans me faire griller le cerveau. Je l’aime bien, moi, mon cerveau. J’ai attendu quelques minutes ainsi enfourné, espérant le silence.
Agonie chantante. La bactérie survivait. Pire, ma tête était dans une caisse de résonance. Un turbo-amplificateur de couplets. Je m’étais moi-même planté un couteau dans le do.
Je me suis secoué la tête. Tiré les lobes. Serré les dents. Porté une tuque. Fait une sieste. Crié. Toujours impossible de m’en débarrasser. Je me serais entré un foudropistolet dans le nez pour la descendre d’une octave. J’aurais voulu grimper dans ma propre oreille pour aller l’aplatir à coup de batterie de cuisine. J’aurais avalé une triple dose de vaccin pour la combattre avec des anticorps de clairons. Je l’aurais mise en sandwich pour la donner à manger à un… à un…
Un ver?
Un ver!
Le corps étroit de cette petite bestiole pouvait facilement se rendre jusqu’au tympan… et une fois là, la bactérie serait avalée. Cependant, à cette période de l’année, ce n’est pas facile de trouver un ver. Avant de périr en harmonie, je me suis rendu à mon ordinateur pour trouver une source sur Internet.
J’en ai trouvé beaucoup, des vers d’oreilles. Et ils semblaient tous plus gourmands les uns que les autres. J’en ai pris un au hasard et, un double-clic et une double-croche plus tard, il grignotait déjà les bactéries. Il mangeait avec appétit, pas de demi-mesure. Plus il en mangeait, plus il augmentait de volume. Quelques secondes plus tard, il avait effacé toutes les traces du mi-crobe.
Merci ver d’oreille.
Et s’il persiste à son tour, je pourrai toujours m’en servir pour appâter un poissonore.