Le fauteuil de cuir grince pendant que mes fesses s’y enfoncent confortablement.
Avant de m’assoir, je n’aurais jamais imaginé que le coussin aurait été aussi profond. C’était comme si une peau avait été tendue autour d’une masse de rien vide. Je flottais sur une bulle antigravitationnelle.
— Parlez-moi d’eux. À quel moment ont-ils commencé à vous pourchasser?
La femme s’exprime avec un débit lent, sans me regarder. Ses yeux baissés fixent un calepin déposé sur ses genoux. Quelques notes y sont griffonnées, mais je me trouve trop loin pour les lire. Par contre, sur le mur à côté de moi, une douzaine de diplômes sont affichés à une distance de lecture raisonnable. Université. Certificat. Maitrise. Mentions.
Le fauteuil couine encore. J’ai l’impression que je continue à m’y enfoncer.
— Alors?
Elle lève les yeux et me regarde avec insistance. Peut-être a-t-elle soupiré, mais j’ai de la difficulté à bien entendre avec ces grincements de fauteuil. Ces ronronnements de fauteuil. Ces gargouillis de fauteuil.
Il m’avale lentement.
Sa gueule capitonnée se referme sur moi. Il se prépare à planter ses crocs dans mon… Oh. Mais non. Cette fraction de seconde de panique m’a empêché de bien réfléchir. Le fauteuil est une créature confortable. Ce confort sert à ramollir sa proie, car il n’a justement pas de dents.
Ce n’est toutefois pas une raison de me détendre. L’acide gastrique m’attend dans son estomac.
— Prenez votre temps. Vous parlerez quand vous serez prêt.
Et qu’est-ce qu’elle me veut, elle? Je ne peux pas penser à comment me faire régurgiter en paix?
« Quand vous serez prêt. »
Encore une fois, je n’ai pas bien entendu à cause de la mastication grinçante. J’ai dû me repasser sa phrase dans ma tête. Prêt. Je comprends pourquoi le fauteuil ne mâche pas vite. Je ne suis pas cuit!
Les gribouillis sur le calepin, c’est la recette!
S’il vous plait, ne me mangez pas.