Fin abrupte

— Assoies-toi, je t’en prie. Le fauteuil est toujours inoffensif. Je crois même l’avoir apprivoisé. Le pire qu’il puisse t’arriver, c’est qu’il te ronronne dans le dos.

Mon vieil allié avait ce même regard réconfortant que lors de ma dernière visite. Son bureau avait toutefois été réaménagé. Sans aucun doute pour optimiser un système de défense et s’aligner avec un champ magnétique. Il était tellement futé.

— De quoi parlons-nous aujourd’hui? me demanda-t-il en prenant son calepin de notes.

Je lui avais téléphoné deux jours plus tôt, en expliquant qu’il y avait urgence. Il avait donc accepté de me rencontrer le midi, entre deux patients.

— Je ne maitrise pas mes superpouvoirs. Il faut faire quelque chose. C’est trop dangereux.

— Vos superpouvoirs?

— Oui. Ces fameux comprimés que je prends depuis environ trois ans ont des effets secondaires. Cette nanotechnologie expérimentale a provoqué l’apparition de facultés surhumaines. Je vois des choses qui sont dans un monde parallèle. Je contrôle des objets à distance. J’arrive même à influencer les gens… Comme la semaine dernière au restaurant. Une jeune femme m’apportait tout ce que je lui demandais.

Il me regardait en silence.

— Je lis aussi dans les pensées. En ce moment, vous vous demandez en quoi ces superpouvoirs sont dangereux.

— En effet… Impressionnant.

— Un innocent a failli mourir par ma faute. Heureusement, il y avait des gens pour lui porter secours et il a survécu. Mais la prochaine fois, y aura-t-il quelqu’un pour voler à la rescousse?

— Que s’est-il passé exactement?

— J’étais à la boutique de jouets au centre commercial. Je discutais avec un ourson quand j’ai remarqué un énorme pistolet à rayons gammatrofiants déposé sur une tablette. Vous connaissez le danger immense de cette arme extraplutonienne.

— Évidemment.

— J’ai donc voulu la détruire. J’ai levé le bras vers le pistolet, la main ouverte, paume vers l’avant. Je me suis concentré. Longtemps. Mon objectif était d’activer son autodestruction. Toute ma superénergie se mit à jaillir du bout de mes doigts et elle enveloppa l’arme.

Je lui ai brièvement expliqué ce que ma turbovision me permettait de voir, avant de poursuivre.

— Des ondes pulvérisantes pulsaient dans la boutique… et c’est à ce moment que j’ai entendu les voix alarmées à l’extérieur. Un pauvre homme couché sur le sol était pris de spasmes terribles. Sa tête frappait le plancher à répétition. Deux jeunes femmes se sont portées à son secours, alors qu’un autre homme faisait de grands signes pour capter l’attention d’un membre du personnel du centre commercial. Moi, j’étais figé sur place. Mon superpouvoir avait affecté l’homme. Il était en train de s’autodétruire. Je m’en veux tellement!

— Ce n’est pas de ta faute…

Je n’ai pas vraiment prêté attention à ce qu’il disait. Je savais qu’il tentait seulement de me rassurer. L’inquiétude restait toutefois bien visible sur son visage.

— Je suis dangereux. Vous devez m’aider. Je suis peut-être en train de me métamorphoser en l’un d’eux. Oh.

Une pensée morbide me traversa l’esprit et me fit frissonner.

— Et si mes superpouvoirs provoquaient ma propre autodestruction? Je ne veux pas m’autodétruire! Je ne… Oh.

Une autre pensée, encore plus effrayante, me fit frissonner à nouveau. Cette fois, j’ai même ressenti un étourdissement.

— Oh… Et si ma propre autodestruction était la solution? Ainsi, je ne risquerais pas de blesser quelqu’un. Peut-être même qu’ils laisseraient l’humanité tranquille si je n’étais plus là.

— Maxime, me lança-t-il d’un ton ferme. L’autodestruction n’est pas une solution.

— Oui mais…

— Non.

Un moment de silence s’installa. Un silence lourd. Je me sentais faible. Vulnérable. J’avais envie de pleurer. Nous sommes restés ainsi, immobiles et sans paroles, certainement des heures. Il semblerait que je puisse aussi plier le temps. C’est lui qui parla le premier.

— Tu sais, je suis prévenant. Après t’avoir fait débuter ce traitement aux nanoparticules, j’ai fait installer un système d’absorption d’ondes mégaradiophotonesques dans quelques appartements protégés. Juste en cas. Ce système permet justement de capter tous les superpouvoirs dangereux avant qu’ils affectent de pauvres victimes innocentes. Incluant toi-même.

— Tout le monde serait en sécurité. C’est très futé.

— Oui. Tu aimerais aller y faire un séjour?

— Je ne peux pas quitter mon chez-moi. C’est le seul endroit où je suis l’abri.

— Tu ne cours aucun danger. J’ai des alliés… Nous avons des alliés à cet endroit. Ça serait comme un autre chez-toi.

La proposition m’apparaissait parfaite. Il avait vraiment pensé à tout. Quel humain brillant. Un poids énorme venait d’être retiré de mes épaules. Une vague de joie m’envahit.

— J’accepte.

J’ai maintenant un nouveau chez-moi. Un nouvel abri, où ni moi ni personne n’est en danger.

Je souhaite ne jamais en sortir.

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Mèche vendue

— Surprise!

Non. Je n’étais pas si surpris que ça.

J’avais déjà constaté que mon ami agissait de façon suspecte. Il regardait sa montre bien trop souvent pour quelqu’un qui m’avait proposé de sortir prendre un verre.

— Bon, je commence à m’emmerder ici. On va chez vous à la place? On pourrait jouer un peu de coop en splitscreen, ça fait longtemps!

Autant d’importance accordée au temps était un indice qu’il s’était fait convertir en clonosaure chronolaser. J’évite justement d’avoir des amis pour que ça ne leur arrive pas.

J’ai tout de même accepté et nous nous sommes dirigés vers mon appartement. Mon «ami» tentait de texter sans que je m’en aperçoive, mais il n’était pas très habile. Ça m’a rassuré. S’il était si maladroit pour quelque chose d’aussi simple, ses compétences pour le combat ne seraient certainement pas mieux. Quand nous sommes arrivés chez moi quelques instants plus tard, la situation me semblait comporter un niveau de risque très bas.

J’ignorais toutefois qu’il avait agi de concert avec des alliés.

Ils avaient réussi à s’infiltrer chez moi à mon insu et m’avaient tendu une embuscade. Une quinzaine de chamélémorphes déguisés en anciens collègues, cousins et genre d’amis m’attendaient dans la salle à manger. Ils montraient leurs dents de façon menaçante. À en juger par la pile d’assiettes et la poignée d’ustensiles déposées sur le coin de la table, cette meute de maximovores n’avait pas du tout l’intention de repartir le ventre vide.

— Tu ne t’attendais pas à ça, hein? me lança l’un d’eux, fier de ces manigances.
— Non. Bien joué, bande de sales mutants.

La meute gloussa de satisfaction et entreprit de chanter des incantations diaboliques. En même temps, l’un d’eux sortit une bombe du réfrigérateur. Je me suis surpris à les trouver futés de cacher ainsi l’explosif dans un endroit si bien isolé pour minimiser les fuites radioactives. Mon appréciation s’arrêta toutefois rapidement quand j’aperçus qu’on allumait la mèche.

Ils m’encerclèrent ensuite, sans interrompre les incantations. La bombe fut déposée devant moi. Le plus petit du groupe s’approcha de moi avec un large couteau. Le grand blond gardait une arme suspecte dans un sac trop coloré. Au plafond, les bandes multicolores d’un filet engourditronien se préparaient à me tomber dessus dès que je tenterais de fuir.
J’étais pris au piège.

— Fais un voeu, lancèrent-ils en choeur.
— Je veux survivre jusqu’à demain, répondis-je en leur lançant un regard de défi.

Et j’ai soufflé pour éteindre la mèche.

Motifs animaliers

Mon rêve est interrompu par quelques rayons de soleil matinal qui tentent de percer mes paupières. Ce n’est pas très grave, car le rêve n’avait rien d’original. Encore des prunes volantes et des rotoculteurs dansants. Et l’hippopotame. Classique.

Je glisse lentement hors du sommeil. J’étire les jambes et mon pied rencontre une surface ferme. Je tâte. Des orteils.

Un genre de miaulement en crescendo s’élève à mes côtés. Je tourne la tête lentement et entrouvre un oeil. J’aperçois une masse de cheveux au bout d’une douce nuque. Étrange.

Je retrousse le drap avec précaution pour jeter un coup d’oeil. La peau de la nuque descend le long d’un dos. Et continue plus bas… Oh. Un bas du dos. Bien arrondi.

Je rabaisse le drap d’un coup. D’ailleurs, c’est curieux. Mon drap n’a plus ses motifs d’animaux. Comment ont-ils pu disp…

Ça se met soudainement à bouger. Ça se tortille. Un autre miaulement se fait entendre. Je réalise maintenant quelle créature est allongée à côté de moi. Une hybrimorphique félinoïde. Une femme-chat.

Ou pire?

Je regarde à nouveau sous le drap pour bien analyser son corps. Il n’y a plus de dos. Il s’est transformé en devant. Bien arrondi aussi. Re-oh. Je détourne les yeux rapidement, pour ne pas endommager ma rétine, et remarque les longues jambes. Des jambes de gazelle. Une gazelle explosive.

Ce n’est visiblement pas le bon lit. Comment ai-je pu me retrouver ici? Ce n’est même pas ma chambre. Je n’ai visiblement pas été capturé, car il n’y a aucun signe de lutte. Alors, est-ce que…

Hé oui. Bien sûr. J’ai accidentellement développé le talent de téléportation.

Délire emprunté

Je suis perdu dans un labyrinthe. Coincé comme un rat.

Les murs s’alignent par petites sections faites de briques numérotées de formes et de couleurs différentes. L’idée de les déconstruire me traverse l’esprit. J’aperçois toutefois quelqu’un, un robothèque d’après sa façon de se déplacer, reboucher des trous avec de nouvelles briques qu’il transporte sur un chariot. Ils exercent un contrôle très serré sur ce qui se passe dans ce bâtiment.

En effet, même les sons ne sont pas admis. Malgré un volume au maximum, les bruits sont rares. Les mutantalogues communiquent entre eux en chuintant, et se promènent avec leurs pieds feutrés. Tout ce qui perce ce vaste territoire de silence provient du robot central, lorsqu’il pousse une note de joie en ouvrant la gueule pour gober une victime.

C’est dangereux partout. À quelques pas de l’entrée, des robothécaires guettent les visiteurs. Ils passent en revue toutes les façons qu’ils peuvent attaquer une cible depuis leur comptoir, de près ou de loin.

Je me suis retrouvé ici par accident, mais pas question que je me livre à eux.

C’est le moment de m’échapper. Je vais aller me réfugier chez moi, dans mon lit sous une couverture.

Arsenal de tiroir

C’est une fois dans la cuisine que j’ai réalisé qu’ils avaient modifié une partie de ma maison.

Un tiroir contenait un impressionnant attirail de torture, ses instruments classés dans des compartiments sur mesure.

Il y avait des fourches miniatures à quatre et trois dents. Grâce à leurs courbures aérodynamiques, elles pouvaient être projetées sur des cibles plus ou moins rapprochées.

De longs instruments plats bien empilés attendaient d’être insérés dans les orifices et plaies d’un torturé. Juste à côté se trouvaient ces horribles outils à bout rond qui servaient sans aucun doute à arracher des yeux.

Mais ce n’était pas tout. Plusieurs autres accessoires horribles occupaient ce tiroir.

  • Des fouets avec adaptateur pour se brancher au bout du bras d’un robot-bourreau
  • Des enveloppes de faux sang pour traumatiser les victimes
  • Un appareil à mèche tirebouchonnée pour éviscérer sans effort
  • Des lames en feuilles à l’image de commerces locaux pour faire des micro-coupures
  • Un arrache-dent en forme de décapsuleur
  • Deux attaches à pain. Je n’avais aucune idée de leur utilisation et ça me terrorisait encore plus.

Je suis allé me réfugier dans ma chambre en courant. Je savais que la modification serait temporaire.

Le lendemain, tout était revenu à la normale. Ou presque.

Dans mon tiroir à ustensiles, se cachaient sournoisement deux effroyables attaches à pain.