Je découvre toujours leurs caméras cachées. Même s’ils ne cessent de perfectionner les capteurs et miniaturiser les boitiers, je continue d’être plus futé qu’eux. J’en ai déjà trouvé une dans une boite de biscuits pour chiens et une autre qui avait été tissée dans la sangle d’un sac à main léopard. Leur nouvelle tactique est toutefois surprenante. Ils les mettent maintenant bien en vue.
De petits triangles orangés bordent la rue. Impossible de ne pas les remarquer. Leur couleur radioactive pourrait briller même dans la nuit. Mon regard est attiré de façon irrésistible vers ces objets.
Et eux aussi me regardent.
Dès que je pose les yeux sur un de ces triangles, sa caméra interne capture l’image de ma rétine. Et même plus. L’empreinte visuelle de ce que j’ai vu des minutes plus tôt est pompée par mon nerf optique. Mes souvenirs sont aspirés par ondes photogéniques.
Ces triangoscopes sont difficiles à déjouer. Ils n’ont pas d’angle mort, la surface circulaire leur donne une vision à 360°. Et pas question d’essayer de faire du sabotage. Ils sont utilisés en groupe pour former un système redondant d’autosurveillance. Si j’en désactive un, une douzaine d’autres caméras en seront témoins. Une imagerie précise de mon anatomie sera générée, ma garde-robe complète reconstituée, ma démarche analysée et ma position triangulée. Du renfort blindé se matérialiserait dans la fraction de seconde suivante.
De toute façon, il ne faut surtout pas les approcher.
Les camécônes dégagent une énergie électrothermique dangereuse. La couleur ne sert pas uniquement à capturer notre regard, elle est l’indication du potentiel destructeur de ces appareils. Rien ne survit à leur présence. Ici, la route s’est fracturée. Plus loin, le trottoir s’est désintégré. Si j’en croise d’autres à l’intérieur, je constaterais sans doute que le plancher est en train de se liquéfier.
Zut. Je dois arrêter de les regarder. Je vais me faire drainer toutes mes pensées. Même en envoyant mon regard ailleurs, la colonie de vidéoranges reste dans mon champ de vision et poursuit sa procédure par aspiration latérale. Je n’arrive presque pas à réfléchir, la moindre idée se fait instantanément voler.
Je me ferme les yeux à moitié. Aux trois quarts même. Et le gauche est fermé au complet. Ça ne laisse que très peu d’espace pour qu’un cône s’y faufile. Même s’il est pointu.
Ça fonctionne.
Je viens de trouver comment déjouer ces triangulocônicams. Et facilement. Un simple accessoire mode. Des lunettes miroirs.
Des lunettes miroir! Il n’y a que vous pour penser à cela! Belle finale! 🙂
@Luna: Finale? Non. Ce n’est jamais terminé.
🙂