Combat des Chefs

La seule table libre de ce petit resto m’attend au fond, tout près de la cuisine. Mais je ne peux surtout pas m’assoir là-bas. Il s’agit de la pire table. La plus vulnérable.

Un cuisinier sauvage et très armé d’un couteau n’a que deux pas à faire pour attaquer. C’est entre autres pour accélérer ce genre d’offensive que les portes battantes s’ouvrent des deux directions. Je n’ai pas envie de me faire couper l’étiquette du chandail ou beurrer d’une tartinade radioactive. Sans compter qu’il peut, en plus, relâcher les poux-piranhas qu’il garde emprisonnés sur sa tête sous un filet. Ça te grignote l’humain vite, ces bestioles.

La proximité de la cuisine oblige aussi à prendre en considération un élément majeur. La cuisine est l’habitat naturel du robot culinaire. Ce tortionnaire mécanique est capable de râper et pétrir avec une puissance de pointe de 1000 Watts. Grâce à ses bras interchangeables, il arrive même à émulsifier sa proie en quelques secondes, avant d’aller la digérer au lave-vaisselle. Se faire réduire en bouillie de purée semble tout aussi douloureux que salissant.

Et pour dessert? Combat contre les apprentis. Eux, ils n’y vont vraiment pas avec le dos de la cuillère quand vient le temps de donner des coups de fouet. Je préfère de loin me mesurer à une tasse.

Finalement, je vais prendre pour emporter.

Mucus à souhaits

Le faisceau lumineux du coeur de la ville balayait le ciel nocturne. Un vent frais et léger, doux comme la caresse d’une fée duvetée, chatouillait les feuilles des arbres. Au loin, le murmure de l’autoroute susurrait ses anecdotes urbaines.

— Atchoum!

Je le savais.

Cet après-midi, un hélicoptère a traversé le ciel au-dessus de mon quartier. Vous savez, le genre d’hélicoptère louche avec les hélices. À ce moment, je ne pouvais pas deviner ce qu’ils préparaient, mais je me doutais bien qu’il s’agissait d’un stratagème crapuleux.

Ils ont répandu de l’éternutron sur la ville.

— Atchoum.

La soirée était atchoum si belle. Ils atchoum gâché. Atchoum que atchoum. Atachatatchoum.

Mouchoir.

Ouf. Ce petit carré blanc vient de me sauver la vie.

Je me demande combien de personnes succomberont à cette attaque, victimes d’une dislocation de la nuque.

Vite atomique

Le problème avec les crevettes atomiques, c’est qu’elles courent beaucoup trop vite.

Il y en a souvent une qui me suit. Je le sais, j’ai un sixième sens pour détecter la présence des hypers crustacés. Mais je n’arrive jamais à la voir. Quand je me retourne, elle a déjà déguerpi. Même si j’essaie de la surprendre, elle est plus rapide.

Encore hier, j’ai cru apercevoir quelque chose d’anormal du coin de l’oeil. J’ai tourné la tête, scruté les environs, me suis mis sur la pointe des pieds pour regarder au loin. Rien. La crevette s’était enfuie.

Un bruit étrange, provenant de l’extérieur, la nuit. Je sors la lampe de poche. Que vois-je? Pas de crevette.

Soyez prudents. Si vous êtes en train de lire sur votre balcon et qu’un coup de vent soudain fait battre vos pages, c’est une crevette qui passe.

Comme toutes ces autres créatures qui nous assaillent, je n’ai aucune idée de ce qu’elles nous veulent. J’espère seulement qu’elles n’useront pas de leur vitesse folle pour nous prendre des bouchées à la volée.

Rappelez-moi de ne jamais m’enduire de beurre à l’ail.

Gardent que dalles

Les gardiens des trottoirs nous observent. Ils guettent nos sorties, espionnent nos promenades, scrutent nos semelles de souliers et analysent nos sacs-poubelles. Leurs yeux de bétons sont à tous les coins de rue.

Gardien de trottoir

Ils ne se cachent pas seulement dans les dalles du trottoir. Les gardiens se camouflent aussi dans l’herbe.

Gardien de trottoir

Certains sont très vieux, comme Capitaine Moustache.

Gardien de trottoir

Quand ils ne mordillent pas assez de lacets, ils deviennent tristes. Selon l’importance de la peine, un gardien pleurera une substance goudronnée ou des larmes de fissure. Snif.

Gardien de trottoir

Mais les gardiens émotifs sont plutôt rares. Les trottoirs sont habituellement peuplés de méchants gardiens, prêts à découdre le rebord de vos pantalons.

Gardien de trottoir

Au lieu d’emprunter un mauvais trottoir, marchez dans la rue.

Dangers bien ronds

Une de leurs agentes m’espionne depuis quelques secondes.

Il y a évènement spécial au centre-ville et elle essaie de passer inaperçue dans la foule dense. Mais je l’ai tout de suite repérée. Je suis tellement observateur que je l’ai reconnue malgré son uniforme secret. Son micro-chandail semi-transparent avec deux espèces de turbos bosses reptiliennes.

Oui, reptiliennes. Il n’y a rien d’humain dans ces rondeurs. À part peut-être la peau qui aurait été greffée… et encore là, il semblerait que ça soit plutôt de la peau synthétique au bronzage radioactif.

Et les lèvres. Une tentative ratée de camoufler une ventouse. Une grosse ventouse, qui révèle son croisement avec l’ADN d’une sangsue bionique. Cette agente possède sans aucun doute une capacité d’aspiration inégalable.

Elle s’approche de moi. Je ne la quitte pas des yeux.

Il est évident que ce corps n’est pas sa forme naturelle. Sa démarche est instable, et l’ondulation de son bassin à chaque pas laisse croire que les articulations seraient sur le point de se disloquer. Mais je ne devrais pas lui regarder le bas du dos. Je dois rester concentré sur les bosses. Ces protubérances sont la source du danger.

Elles sont magnétiques.

Mes extrémités pointent graduellement vers elles. Mes mains se dressent, les doigts orientés pour épouser leur contour. Mes yeux se rivent sur cette volumineuse gorge sans soutien.

Je fais un pas. Dans sa direction. Zut.

Je dois absolument m’évader de ce champ électromagnétique. D’abord, mes mains iront se coller sur les masses palpables et ensuite ma tête s’y enfouira. Je mourrai asphyxié.

Je suis dans une foule, heureusement. Un groupe de personnes passe devant l’agente, formant un écran. Mais cette barrière humaine n’est pas imperméable. Les effets persistent. Ma capacité à réfléchir diminue, comme si mon sang avait cessé d’affluer à mon cerveau. Au moins, le contact visuel est rompu.

Je tourne la tête et cherche un endroit sécuritaire où poser mon regard. Un humain normal, inoffensif. Comme cette vieille dame. Avec de la vraie peau, pâle et tachetée et plissée. Un corps flasque sans rondeurs précises. Je pourrais me réfugier dans ses bras frêles, me faire caresser par ses doigts crochus et rugueux. Elle m’offrirait son sourire réconfortant, son sourire moustachu et édenté.

Efficace. Je suis désamorcé.

Ma respiration reprend son rythme régulier. Je redeviens calme. Plus rien de tendu. J’essuie la goutte de bave sur mon menton et je replace les plis de mon pantalon.

Je devrais retourner chez moi.

C’est quand même la huitième agente que je remarque en cinq minutes.