Dangers bien ronds

Une de leurs agentes m’espionne depuis quelques secondes.

Il y a évènement spécial au centre-ville et elle essaie de passer inaperçue dans la foule dense. Mais je l’ai tout de suite repérée. Je suis tellement observateur que je l’ai reconnue malgré son uniforme secret. Son micro-chandail semi-transparent avec deux espèces de turbos bosses reptiliennes.

Oui, reptiliennes. Il n’y a rien d’humain dans ces rondeurs. À part peut-être la peau qui aurait été greffée… et encore là, il semblerait que ça soit plutôt de la peau synthétique au bronzage radioactif.

Et les lèvres. Une tentative ratée de camoufler une ventouse. Une grosse ventouse, qui révèle son croisement avec l’ADN d’une sangsue bionique. Cette agente possède sans aucun doute une capacité d’aspiration inégalable.

Elle s’approche de moi. Je ne la quitte pas des yeux.

Il est évident que ce corps n’est pas sa forme naturelle. Sa démarche est instable, et l’ondulation de son bassin à chaque pas laisse croire que les articulations seraient sur le point de se disloquer. Mais je ne devrais pas lui regarder le bas du dos. Je dois rester concentré sur les bosses. Ces protubérances sont la source du danger.

Elles sont magnétiques.

Mes extrémités pointent graduellement vers elles. Mes mains se dressent, les doigts orientés pour épouser leur contour. Mes yeux se rivent sur cette volumineuse gorge sans soutien.

Je fais un pas. Dans sa direction. Zut.

Je dois absolument m’évader de ce champ électromagnétique. D’abord, mes mains iront se coller sur les masses palpables et ensuite ma tête s’y enfouira. Je mourrai asphyxié.

Je suis dans une foule, heureusement. Un groupe de personnes passe devant l’agente, formant un écran. Mais cette barrière humaine n’est pas imperméable. Les effets persistent. Ma capacité à réfléchir diminue, comme si mon sang avait cessé d’affluer à mon cerveau. Au moins, le contact visuel est rompu.

Je tourne la tête et cherche un endroit sécuritaire où poser mon regard. Un humain normal, inoffensif. Comme cette vieille dame. Avec de la vraie peau, pâle et tachetée et plissée. Un corps flasque sans rondeurs précises. Je pourrais me réfugier dans ses bras frêles, me faire caresser par ses doigts crochus et rugueux. Elle m’offrirait son sourire réconfortant, son sourire moustachu et édenté.

Efficace. Je suis désamorcé.

Ma respiration reprend son rythme régulier. Je redeviens calme. Plus rien de tendu. J’essuie la goutte de bave sur mon menton et je replace les plis de mon pantalon.

Je devrais retourner chez moi.

C’est quand même la huitième agente que je remarque en cinq minutes.

Duel visuel de ruelle

La bête hybride me barrait la route.

J’avais emprunté cette ruelle pour éviter les camions-espions stationnés sur le boulevard, sans penser qu’ils auraient déployé des gardes sur tout le territoire. Je mise parfois beaucoup trop sur mon esprit vif et mes réflexes aiguisés pour me sortir du pétrin au lieu de faire preuve de prévoyance. Il était trop tard pour revenir sur ma décision.

Elle gardait son regard sauvage braqué sur moi, les quatre pattes fléchies, prête à bondir. Le prolongement de son corps de rongeur se dressa, montrant son dard poilu plein de venin.

Je déteste les rats-scorpions.

Pour ne pas la provoquer, j’ai fait un pas délicat vers l’arrière. J’ai levé les bras, affiché mon plus beau sourire pacifique, fait des yeux doux. J’ai même fredonné une berceuse.

Mais la bête féroce n’avait pas envie de jouer.

Elle s’élança en diagonale jusqu’au bord de la ruelle. Grâce aux ventouses de ses pattes, elle grimpa ensuite un poteau et se percha sur un des fils qui sillonnaient le ciel. Ses petits yeux maléfiques me fixèrent à nouveau. Il ne lui restait plus qu’à faire un court vol plané pour venir me siphonner le cerveau.

Des images de rats-scorpions en train d’enterrer des morceaux de victimes un peu partout traversèrent mon esprit. Je n’ai plus bougé. Et elle non plus. Nos regards étaient soudés.

Un faible vent fit danser quelques déchets. Un escadron de moineaux à neutron passa. Le soleil bombardait la ruelle de ses puissants rayons. Une goutte de sueur descendit lentement sur ma tempe et le long de ma joue. Au loin, j’ai cru deviner la mélodie d’un harmonica.

Patience.

Après une éternité, une voiture s’engagea dans la ruelle. La bête fouetta l’air de son dard. Je n’osais pas bouger.

Le conducteur arrêta son véhicule en face de moi.

— Hey coudonc, tu te tasses-tu? Me demanda-t-il poliment.

Je ne répondis rien et maintins ma posture immobile.

Il klaxonna.

— Dégage!

Il klaxonna à nouveau et manifesta son empressement en faisant grogner son moteur.

Tout ce bruit ne me perturba pas. Mais les petites oreilles bioniques du rat-scorpion ne pouvaient en supporter autant.

L’hybride poilu alla chasser ailleurs.

Conseils vitaux – Boutique de chaussures

La façon de vous chausser a un impact direct sur votre capacité à fuir. Un bon soulier ou une espadrille performante peut vous sauver la vie.

1— Si vous prévoyez fuir en Hollande, en Pologne ou même en Estonie, choisissez une pointure européenne. La longueur de vos enjambées ne sera pas convertie.

2— Des bottes avec embouts en acier protègent les orteils d’une patte de chaise carnivore ou d’une commode sauteuse. Par contre, elles conduisent l’électricité et attirent les bactéroïdes magnétiques. C’est une question de choix.

3— Évitez les couleurs vives et les motifs. Vous seriez repérés trop facilement. Optez plutôt pour des teintes neutres, comme brun, gris ou noir. Avec des bas neutres aussi, comme blancs.

4— Soyez attentifs au contenu de la boite. Un vendeur-androïde déguisé pourrait avoir remplacé les souliers par une version inversée. (La droite à gauche et la gauche à droite). Refusez systématiquement les paires ainsi trafiquées pour ne pas courir à l’envers.

5— J’ai oublié quel est le proverbe à propos du port des talons aiguilles et des bottes de foin, mais je déconseille les deux.

6— Un soulier avec des yeux aura aussi une gueule, des crocs, et une langue entre les lacets. Et l’estomac dans les talons. Ne vous faites pas dévorer.

Poudre morte

Quand j’ai vu sur quoi j’étais en train de marcher, j’ai bondi sur la pelouse.

Des victimes. Des dizaines de victimes. Pétrifiées et pulvérisées. Un carnage. Une bande de poussière d’humains traversait le parc. Grise et triste.

Ils ne capturaient personne, cette fois. Ils se contentaient de les désintégrer. Quelle horreur. Leur arme dévastatrice se dressait au loin. Un amalgame de technologies redoutables. Un pulvéromètre, un pétrifactron linéaire et un amplitronique (classe 4).

Je me suis enfui loin de cette tragédie, le coeur lourd comme une tonne de gravier.