Alerte rose

Pour la promotion de mes romans, j’ai participé à une sorte de foire rassemblant environ deux-cents exposants. Ma présence à cet évènement était annoncée plusieurs jours à l’avance, leur laissant ainsi largement le temps d’infiltrer l’organisation pour me tendre un piège.

Je savais que mes chances de survies étaient minces. Pour me donner un avantage, j’ai eu l’idée d’inviter tous les gens que je connaissais. L’invitation lançait un message clair: « Venez les voir tenter de me capturer ou m’assassiner. Voyez comment je suis habile pour les déjouer. Assistez à leurs échecs. »

Ça a fonctionné.

Ils n’ont pas été très agressifs. Ils avaient vraiment peur d’avoir l’air ridicule. Je les voyais rôder autour de moi, se mêler à la foule ou se déguiser en exposants. Mais ils hésitaient. Ils ne savaient pas comment s’y prendre. Encore une fois, j’ai été plus futé qu’eux.

Des agents, robots et mutants étaient venus de très loin pour essayer de me capturer. La preuve, quand je m’adressais à l’un d’eux poliment pour parler de mes livres, j’avais souvent la même réponse: « Sorry, I don’t read French. » Ils devaient vraiment venir de loin. La majorité d’entre eux portaient aussi ces ridicules lunettes. Toutes démesurément trop grandes et aux allures rétro-intello-moches, elles étaient en fait des systèmes de caméra sophistiqués pour m’espionner et transmettre les images de moi à leur base secrète sur une autre planète ou dans une autre dimension.

Peu à peu, ils commencèrent à exécuter leur plan terrible… qui allait, bien sûr, connaitre un échec.

D’abord, un grand costaud au style gothique, vêtu de noir et avec les yeux sombres, s’est arrêté devant ma table. J’ai facilement reconnu un éclaireur envoyé par eux. Cet homme, dégageant la virilité avec sa mâchoire carrée et sa barbe de trois jours, portait quelques mèches roses dans ses cheveux, des bas roses dépassaient de ses lourdes bottes et du vernis à ongles rose colorait le bout de ses gros doigts. Ce sont des indices qui ne trompent pas. Je l’ai complètement ignoré.

Une dame s’est ensuite approchée de ma table. Sa longue chevelure bouclée et grisonnante cachait un peu son visage trop maquillé et ses lèvres trop roses. Elle avait le style vestimentaire marginal, bohème. Une sorcière qui venait me jeter un sort. M’adressant d’abord la parole en discutant du thème des secondes de ma série, elle enchaina avec sa formule magique maléfique. Des phrases absurdes à propos de la verticalité du temps et de voyages astraux. Mais le pire, c’était son haleine fétide. Un gaz délétère, vert comme la maladie, s’échappait de sa bouche. En plus de m’ensorceler, elle voulait m’empoisonner avec cette odeur de café pourri. Je n’ai pas écouté. Je n’ai pas respiré. Et je me suis retourné vers une autre personne qui s’était arrêtée devant ma table. La vieille sorcière a échoué.

Plusieurs exposants aidaient à rendre l’ambiance de la foire encore plus festive. Il y avait des ballons et des petits bonbons. Un jeune homme se promenait dans la salle avec un bricolage en styromousse rose. Il s’était fabriqué une maquette grossière de mitraillette. Tous les gens le trouvaient sympathique et souriaient quand il pointait son arme dans leur direction. Pas moi. Dès que j’ai vu le canon s’orienter vers moi, je me suis accroupi. Le rayon mortel invisible percuta mon présentoir de livres, heureusement blindé, et j’ai évité une grave blessure grâce à mes excellents réflexes. Par contre, je crois que ce faisceau de la mort a ricoché et est allé anéantir un autre exposant. Il y avait cette femme à quelques tables de la mienne que je n’ai plus revue de la journée.

Évidemment, ils ne pouvaient abandonner avant de m’avoir envoyé une de leurs charmantes agentes. Il y en avait d’ailleurs beaucoup sur place. Il y avait cette brunette à l’autre bout de la salle, dont le regard intense perçait la foule et venait croiser le mien. Ou l’autre grande, aux cheveux châtains et bouclés, qui avait tenté de m’embusquer à l’entrée le matin de l’évènement. Aucune n’avait vraiment été une menace. Sauf elle.

— Tu voudrais me signer mon livre? me demanda-t-elle avec toutes ces étoiles dans les yeux.

Je n’ai pas bégayé. Mon hésitation ne venait pas du fait que son joli visage m’hypnotisait. Si je me tenais immobile, ce n’était pas parce que je me retenais de l’enlacer sur-le-champ. Mon rythme cardiaque ne s’accélérait pas à cause d’elle. Non. Je venais seulement de réaliser que le livre qu’elle me tendait n’avait pas été acheté ici, à cette foire.

Elle l’avait volé pour s’en servir contre moi.

Je lui ai quand même signé, en me disant que cela pourrait sans doute attirer des gens à ma table. Mais ce n’était que le début de son plan.

— Je pourrais te laisser mon manteau pendant que je continue à faire le tour?

— Aajhhj r hjrh jh oui.

Cette fois, j’ai bégayé. C’est qu’elle avait déjà retiré son manteau. Un chandail rose moulait ses atouts de façon sensuelle et, surtout, convaincante. Elle se pencha pour déposer son manteau sur la chaise derrière moi. Pas que je regardais spécifiquement à cet endroit, mais, à ce moment, je n’ai pu que constater la profondeur de ses charmes.

Elle disparut ensuite dans la foule, me laissant seul avec son manteau. Un simple manteau, pas aussi rose qu’elle, avec un col en fourrure.

Une bestiole carnivore!

C’était ça, son plan! Pendant que j’allais essayer de la retrouver dans la foule, pour avoir la chance de revoir cette beauté magique, la bête poilue ouvrirait sa gueule immense. Ses huit rangées de dents, plus coupantes qu’un rasoir au laser, se refermeraient sur moi. En trois bouchées, je serais disparu, avalé par ce manteau sauvage.

J’ai pris la chaise et je l’ai poussée sous la table! La créature était maintenant prisonnière! Ouf! Quand la jolie agente est revenue, elle savait qu’elle avait échoué. Elle prétexta un parcomètre dont le délai arrivait à échéance et se sauva avec son manteau. Hum. J’ai au moins eu droit à un dernier coup d’oeil à cette silhouette de rêve, qui était toute aussi bien vue de derrière.

La foire se termina et je suis rentré chez moi sain et sauf. J’ai remarqué que les sources de danger avaient toutes été roses. Je me demande si ce n’est qu’une coïncidence ou si je viens de découvrir un indice majeur pour les repérer. D’ici à ce que je puisse vérifier ma théorie, j’ai un conseil.

Attention au rose.

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5 commentaires sur “Alerte rose

  1. Attention, je me nomme peut-être Sourcil JAUNE, mais ma garde-robe se compose en grande partie de rose… Vous ne l’auriez pas cru n’est-ce pas?

  2. @Onirique: Même si vous faites attention de ne pas porter de rose, je saurai vous reconnaitre lorsque vous vous attaquerez à moi. J’ai bien déchiffré la signification de votre surnom. « ONI » est un démon cornu ou un ogre. Je ne crains pas les bêtes monstrueuses.

    @Sourcil JAUNE: Ah oui? Je ne l’aurais pas cru. Je tâcherai alors de vous éviter à tout prix.

  3. Alors, moi, je suis au top des menaces sur ta liste!! T’es venu me prévenir que je ne t’aurais pas c’est ça???

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