J’ai bien sûr remarqué que prélèvement et enlèvement, c’est presque pareil. J’entre tout de même dans la grande salle et me glisse parmi les autres victimes en gardant mon calme. La décoration est atroce, mais je porte des lentilles blindées. Aucun risque de me mettre à saigner des yeux.
Un robot bien carré m’accueille à mon arrivée. Incapable de parler, il me crache plutôt ses paroles sur un petit billet. A74. Est-ce une insulte mutante ou une salutation? Je préfère ne pas prendre de risque et lui réponds un «toi-même» convaincu. Je me retourne ensuite, la tête haute, et me dirige vers le siège le plus loin.
Un à un, les gens disparaissent dans la pièce adjacente. Les plus vieux, les plus gros, les plus odorants, les plus bavards, les plus laids, personne n’en revient. J’en revois quelques rares, mais ce n’est que pour un bref instant. Ils sont envoyés dans un local fermé au fond de la grande salle, d’où ils ressortent avec un contenant de liquide jaune. Les pauvres sont envoyés traire une vache uranusienne. J’espère qu’ils ne seront pas obligés de boire ça.
Mon tour arrive. À l’entrée de l’autre pièce, une femme en uniforme blanc me guette de ses yeux en fente. Elle n’est visiblement pas terrienne. Mais ça ne m’inquiète pas du tout. Je ne viens pas me faire capturer. Bien au contraire.
Je suis ici pour dérégler leur réseau de kidnapping organisé et libérer tous ces pauvres humains.
J’entre dans l’autre pièce d’un pas confiant. Il y a une suite de cabines d’où s’échappent des voix feutrées. Des téléporteurs. La non-terrienne m’indique de me diriger vers le troisième. Pas question de me faire dématérialiser par contre. Je n’ai pas encore de plan, mais je suis sur le point d’en avoir un.
Une mutante aux commandes de matériel informatique me demande de m’assoir sur la seule autre chaise du téléporteur. La femme a presque l’air humaine, à l’exception de la bosse poilue sur sa mâchoire. Un appendice de la taille d’un pois, d’un rose brunâtre. J’estime à vingt-trois le nombre de courts poils noirs y ayant éluent domicile. En regardant l’excroissance de plus près, je constate que la texture de la peau semble granuleuse. Je me demande si c’est ferme ou souple.
La mutante s’éclaircit la gorge. Elle profite de mon examen minutieux de cette protubérance pour me saisir le poignet et le tirer vers elle. D’un mouvement adroit, elle attache une sangle autour de mon bras. Sans perdre une fraction de seconde supplémentaire, elle s’empare d’une seringue.
Oh. C’est un bon moment pour un plan.
L’aiguille s’enfonce dans une de mes veines. Je ne me laisserai pas injecter des substances ainsi. Une drogue dématérialisante? Des isotopes multiphases? Non. C’est ici que ça s’arrête. J’inspire profondément en serrant les dents. Et je lui gicle mon sang.
Désemparée, Madame Tubercule recueille mon sang dans une éprouvette. Puis une autre. Cinq, douze. Elle tente de les regrouper, mais moi je leur donne des pichenottes du bout du doigt pour les envoyer rouler plus loin. Elle n’apprécie pas du tout. Les téléporteurs sont complètement désynchronisés. Ha.
Je sors de la cabine et me dirige à l’autre extrémité de la pièce. Une autre issue attendait ici d’être découverte. Je l’ouvre. Échappez-vous, amis humains.
Dehors, je reconnais une vieille dame avec une canne qui est entrée quelques instants avant moi.
Je lui offre mon bras pour l’aider à descendre les escaliers. Elle me sourit. Sa main plissée s’accroche à moi.
– T’es t’un ben bon jeune homme, me dit-elle d’une voix rauque et faible.
– Oui, merci.
C’est un plaisir de vous avoir libérée de leurs griffes.
As-tu remarqué s’il y en a qui portaient des signes religieux ostentatoires? Eux autres, y m’font peur. Sont tellement dangereux.