Les tortures quotidiennes qu’elle m’inflige ont assez duré. C’est aujourd’hui que se termine ce cauchemar qui a commencé il y a une éternité.
Je ne peux pas l’attaquer directement, car je suis encore faible. De toute façon, je veux éviter le moindre contact physique avec son corps répugnant. De plus, si je parviens à la désactiver, ils se mettront en colère et m’enverront une armée de loutres carnivores ou de pivoines sanguinaires. Je dois plutôt l’encourager à partir, en lui faisant comprendre qu’elle ne peut plus poursuivre sa mission.
— Tu n’es pas à la hauteur.
Elle me regarde, les sourcils froncés et les yeux en points d’interrogation. Sa tête penche vers moi, indiquant qu’elle attend plus d’explications.
Je dois choisir mes mots judicieusement. La pièce dans laquelle je me trouve est saturée de micros invisibles, de systèmes d’écoutes sophistiqués aux rayons X et d’acariens-espions. Un agent mutant, caché à deux ou trois systèmes solaires d’ici, attend un signal pour déclencher l’implosion de mon appartement et un canon orbital lâchera son faisceau plasmatonique pour cratériser tout le quartier.
— Tu perds ton temps. Je sais qu’il y en a des bien meilleures que toi. Ces mois de torture ne mènent clairement nulle part. Une autre aurait réussi depuis longtemps à me faire exploser quelque chose dans la poitrine.
C’est plus fort que moi, j’ai quand même de la peine pour elle. Ils vont lui faire payer son échec en l’emprisonnant dans un volcan, en l’exilant sur Uranus, en la métamorphosant en urinoir ou en l’assignant à une cible ennuyeuse. Je dois leur faire comprendre qu’elle n’y est pour rien.
— Ne t’inquiète pas. Ce n’est pas toi, c’est moi.
Mais c’est trop tard.
Elle a déjà activé son système d’auto-destruction. Sa tête commence à se liquéfier, des gouttes glissent le long de ses joues. Son visage se contracte, ses yeux et ses lèvres se plissent. Sa respiration saccadée agit comme valve pour expulser la vapeur de sa machinerie interne surchauffée. Sa peau est rouge sous l’effet de la pression interne.
Elle va exploser.
Je m’empresse d’aller ouvrir la porte.
— Dehors!
Son expression faciale semble être un mélange de surprise et de colère, mais ses traits hybrides sont trop désynchronisés pour bien y reconnaitre une émotion. Sa bouche s’entrouvre et une sirène d’alarme retentit. Le son aigu augmente d’intensité, comme une forme de compte à rebours pour les avertir. Elle attrape son sac contenant son arsenal militaire, enfile une manche de son manteau blindé et plonge dans ses bottes à pieux.
En sortant, elle me grogne quelque chose. C’est malheureux. Son cerveau détraqué n’arrive plus à former correctement les mots. Le gentil «salut!» qu’elle me dit sonne plutôt comme une insulte. C’est probablement la partie mutante du cortex qui déforme ses cordes vocales. L’explosion est imminente.
— Adieu.
Et je referme la porte au plus vite derrière elle.
Quel sang froid! 😉
@V: Oui, le sang froid c’est important. C’est comme ça que j’arrive à m’en sortir. Elle, elle avait le sang chaud, c’est pour ça que j’ai réussi à m’en débarrasser.