Par ce bel après-midi de congé, j’avais décidé d’aller relaxer dans un parc. J’avais choisi un endroit calme, près de l’eau, où je pouvais m’asseoir sur un banc et lire paisiblement. J’avais même trouvé une place sous un arbre dont les branches me protègeraient un peu du soleil. Plongé dans ma lecture, tout ce que j’entendais n’était que les glapissements de quelques oiseaux et le froissement des feuilles.
Soudain, les glapissements augmentent d’intensité, de même que les froissements. Le bruit a une sonorité anormale, pas naturelle. Je cesse de lire.
Une de leurs escouades tactiques avance dans ma direction.
Ce que j’avais pris pour un bruit de feuillage était en réalité celui des roues de véhicules militaires roulant sur le gravier du sentier. Les sons, que je croyais être ceux d’oiseaux, venaient plutôt d’esclaves humaines qui poussent ces véhicules. La troupe compte une demi-douzaine d’envahisseurs extra-terrestres.
J’ouvre mon livre bien grand et me cache derrière. Maintenant invisible, je n’ai qu’à attendre qu’ils soient passés. Le groupe choisit toutefois de faire une pause et de venir s’asseoir sur les autres bancs libres autour de moi. Je suis invisible mais encerclé.
Les envahisseurs, de petites créatures roses et potelées, restent assis dans les véhicules. Venants de l’espace et habitués à vivre en apesanteur, leurs petites jambes ne peuvent pas supporter leur poids dans notre gravité. Un dispositif placé dans leur bouche permet de filtrer l’air terrestre, nocif pour eux si respiré en grande quantité. Ces désavantages sont cepenfant compensés par les armes puissantes qu’ils brandissent.
L’un d’eux tient un pistolet à radiation, sans doute un Destructron 12, dont les pastilles de couleurs peuvent se déplacer pour choisir différentes intensités. Un autre secoue une matraque violemment. Cet instrument de torture a tellement été utilisé, que les teintes, usées, sont maintenant pastel. J’en remarque aussi un qui retient une petite créature poilue, probablement encore plus vorace qu’eux. Un dernier, beaucoup moins menaçant, s’exerce à dévorer des humains en portant un personnage à sa bouche. La poupée vaudou est couverte d’une bave gluante et corrosive.
Les esclaves responsables de pousser leur véhicule sont toutes de jeunes femmes. Elles obéissent machinalement à la moindre demande des envahisseurs, mais je n’arrive pas à comprendre ce qu’ils disent. Le langage exogalaxien est constitué de clapotis buccaux et de glouglous. Je suspecte même que leurs systèmes auditifs ne fonctionnent pas comme le nôtre, puisque les femmes s’adressent à eux d’une voix nettement plus aigüe. Elles sont soumises et, quand elles s’approchent d’eux, elles se penchent, s’agenouillent, se prosternent.
Je ne peux pas m’empêcher d’éprouver de la pitié pour ces esclaves. Ils les ont torturées sans cesse pendant huit ou neuf mois. Ils les ont empêchées de dormir. Ils testaient sur elles des combinaisons alimentaires impossibles. Ils les gardaient prisonnières dans une forteresse, derrière une enceinte infranchissable. Et, quand elles peuvent enfin sortir, ces femmes ne servent pas seulement à pousser les véhicules. Elles sont là pour les nourrir.
Qu’ils se fassent injecter un additif plasmatonique sous forme de liquide blanchâtre provenant du fin fond de la Voie lactée m’est égal. Par contre, ce qui m’horrifie, c’est qu’il y en ait un qui s’accroche à une pauvre femme, telle une sangsue, pour la vider de son sang. C’est atroce.
Un frisson me traverse le dos. Le sort des hommes est encore pire que celui réservé aux femmes! S’ils me capturent, je serai pressé, voire liquéfié, avant d’être entreposé dans une éprouvette. Juste avant, j’aurai subi toutes les formes de torture psychologique imaginable. Je disparaitrai finalement dans un souterrain loin de la ville, sous plusieurs couches de roches sédimentaires.
Penser à comment se terminerait ma vie si je tombais entre leur main m’énerve un peu. Cette crainte semble d’ailleurs avoir affecté mon déguisement. J’étais pourtant certain d’être demeuré parfaitement immobile derrière mon livre ouvert. Mais il y en a un qui m’a détecté.
Signal d’alarme.
Une sirène en crescendo retentit. Je suis découvert. Ou alors, ils savaient depuis le début que j’étais là et j’ai été victime d’une embuscade à retardement. Je ne veux pas finir en esclave. Je ne veux pas finir mes jours dans un camp de concentration sur Jupiter ou Utérus.
— Non, ça ne m’arrivera pas!
Je crie en me levant de mon banc. Les visages cernés des esclaves et ceux rondouillets des envahisseurs sont tournés vers moi. La sirène augmente d’intensité et une seconde se joint à elle.
Je me sauve en courant. Ma seule possibilité de fuite réside dans un court escalier à quelques pas. Un terrain accidenté est parfait pour semer des poursuivants roulants. Derrière moi, l’alerte générale est déclenchée, mais ils ne m’attraperont pas. Pas aujourd’hui, ni demain. Je prendrai l’habitude de bien me protéger contre ces envahisseurs.