J’ai faim.
Mon estomac grince, gronde, grommèle, glapit. Mon système digestif combat le vide avec un enthousiasme bruyant. Une lutte intestine sans merci.
J’ai vraiment faim.
Je me surprends à entrer dans le premier établissement de restauration rapide que je croise. Mon estomac a pris le contrôle des muscles de mes jambes. Vu les circonstances, c’est tout à fait légitime. Mais extrêmement dangereux.
C’est l’un d’eux qui m’accueille. Son visage est couvert de quelques poils, comme s’il essayait d’avoir l’air plus humain. Une casquette sur sa tête sert à garder ses antennes baissées et ses mains sont couvertes d’une pellicule protectrice pour que sa sueur corrosive ne fasse pas fondre tout le bâtiment.
Je m’efforce à garder mon calme.
Il commence par ouvrir la porte vitrée d’un compartiment métallique derrière lui, où des torpilles de différents formats et modèles sont alignées. Celle qu’il prend est couverte de pustules orangées, une forme de rouille infectieuse. Le mutant la dépose devant lui et s’empare ensuite d’un couteau.
Mon coeur passe son tour le temps de deux ou trois battements. Je m’imagine aussitôt en train de me faire éviscérer. Mais la lame ne servira pas à faire de moi des cubes à ragout. Il plante plutôt le couteau dans la torpille!
Explosion!
Je suis tellement pris par surprise que j’oublie de crier. On dirait que je n’ai même pas pensé à fermer les yeux! Mes bras restent pendus le long de mon corps, au lieu de se dresser devant moi pour me protéger des éclats…
Ah… bien non… La torpille n’explose pas.
Le couteau sert en fait à l’ouvrir, révélant son intérieur spongieux. Elle ne contient aucune mécanique, aucune substance explosive, aucun détonateur. Une enveloppe vide.
Pour l’instant.
Le mutant est un de leurs ingénieurs qui fabriquera lui-même l’engin devant moi. D’abord, il tapisse l’intérieur de petits triangles blanchâtres. Les pointes, dirigées vers l’extérieur, serviront comme crampons pour bien s’accrocher à la cible, c’est-à-dire, moi. Il empile ensuite les tranches d’explosifs dans un ordre précis. Brun, pour plus de puissance. Beige, pour plus de vélocité. Rose, pour plus de portée.
Pour maximiser les dommages, l’ingénieur-mutant ajoute de la quincaillerie. Des feuilles d’aluminium uranien verdâtre, haché fin pour bien transpercer la peau. Trois roues d’engrenage rouges et juteuses serviront de détomateur. Des lamelles vertes tranchantes pour me couper les organes ou l’appétit. Quelques rondelles blanches aux vapeurs toxiques qui s’attaqueront à mes yeux pour me faire larmoyer avant de me rendre aveugle. Des écrous noirs pour plus d’impact, et des tranches orangées pour enflammer le tout. Avant de refermer le capot, il arrose l’assemblage d’un carburant composé d’un mélange d’essence aux épices et d’huile.
La torpille est prête à faire ses ravages.
Le mutant programme le compte à rebours sur un clavier numérique et me la remet, toute emballée d’une mince membrane. De petites serviettes de papier sont aussi offertes, pour essuyer le dégât de mes morceaux juteux après la détonation. J’ai réussi à garder mon calme pendant tout ce temps, et je peux enfin ressortir.
Sauf que je me retrouve, quelques secondes plus tard, sur le trottoir avec une torpille à retardement dans la main. Et mon estomac qui n’a toujours pas cessé de crier son agonie. Je suis en train de m’auto-digérer, au point que je ne sais même plus si je vais mourir d’une explosion ou d’une implosion.
Tic-tac tic-tac. Grouic glougloub… Éclair de génie.
Désamorcer une bombe et faire taire mes borborygmes. Une chance que je suis courageux, car ce que je m’apprête à faire relève presque de la folie.
J’ouvre la bouche et engloutis la torpille.
Sous-marin touché coulé.
Burp.
Il faut toujours se fier à son « gut feeling ».
Pour le reste, je pense que tu n’avais pas à avoir peur, cette bombe n’avait aucune chance contre tes sucs gastriques super-puissants qui l’ont désintégré en un rien de temps!
Te sacrifier pour désamorcer cette torpille sur le point d’exploser était le geste le plus humaniste que tu n’aurais pus accomplir!
Bravo!
Je connais bien ces torpilles. Ce qui est énervant c’est qu’avec les années, le compte à rebours augmente.
Je me demande quelle gout avait cette torpille… En tous cas c’était un acte très courageux !
@La bête: Je ne crois pas que mes sucs gastriques soient super-puissants, je crois plutôt qu’ils utilisent des matériaux de moins bonne qualité.
@Jonathan: Je me sacrifie souvent. Surtout quand c’est pour désamorcer un reste de tarte radioactive…
@Tridimensionnel: Et aussi, il semblerait qu’ils utilisent moins d’explosifs…
@optimetiste: Étrangement, la torpille était savoureuse et j’aurais presque envie d’en remanger.