Toys « R » Them

Des allées d’armes, d’instruments de torture, de petits robots, de créatures extra-terrestres, de mutants poilus, d’explosifs roses, d’engins de destruction massive, de masques de guerre, de soldats mécaniques, de substances toxiques gluantes multicolores… Du danger à grande surface pour le plaisir de vos enfants.

Rien n’est plus dangereux qu’un magasin de jouets.

Si j’avais le choix, je n’y mettrais jamais les pieds. Cependant, puisqu’ils ne se sont pas encore attaqués à ma famille, j’ai encore mes gentils neveux et nièces à qui je dois faire des cadeaux de temps en temps. Malheureusement, les petits ne se contenteraient pas de simples vêtements. J’aimerais bien leur donner des bas, par exemple. C’est confortable, des bas. Ça garde au chaud et ça protège les orteils. Ça empêche qu’une petite miette croustillante perce la peau douce de la plante du pied. Ça monte même sur la cheville pour encore plus de protection. Il y en a aussi de toutes les couleurs, ce qui permet de mélanger les paires pour une touche d’originalité. C’est bien, des bas.

Mais les enfants préfèrent les jouets.

Je me suis rendu au magasin en sachant très bien qu’ils m’y attendraient. D’ailleurs, dès mon arrivée, ils m’ont signalé qu’ils m’avaient à l’oeil. Les portes coulissantes se sont ouvertes toutes seules! C’était leur façon de me narguer en m’invitant à entrer dans leur domaine de violence en boites colorées.

J’ai gonflé le torse, redressé le menton et je suis entré. Je n’allais pas me laisser intimider ainsi. J’avais une mission importante à accomplir. Des jouets à acheter.

C’était désert. Ils avaient déjà nettoyé le magasin des clients précédents. Les tuiles du plancher, luisantes sous les néons, venaient visiblement d’être lavées pour effacer, non seulement les trainées de sang des victimes démembrées, mais aussi la glu visqueuse de leurs limaces carnivores. Ces créatures dégoutantes qui devaient maintenant se terrer quelque part derrière une porte identifiée « employés seulement », pour digérer leurs repas…

C’était une chance pour moi. Ces monstres repus n’étaient sans doute pas prêts à s’attaquer à un nouveau repas. Pas de temps à perdre.

Un troupeau de peluches, perchées sur leur étalage, me regardèrent passer d’un air surpris. Leurs yeux féroces et exorbités ne clignèrent même pas. J’ai gardé une bonne distance entre elles et moi, puisque ces piranhas poilus pouvaient achever une victime en moins d’une dizaine de secondes. Elles sont bien moins dangereuses quand elles sont seules. J’en ai déjà vu une dans une chambre à coucher qui attendait sagement la venue de la nuit pour dévorer des orteils. Détail intéressant, les bas peuvent aussi nous protéger de leurs morsures.

Le jouet que je voulais n’était pas là. Il y avait tous les autres modèles de la série, toutes les autres couleurs, mais pas celui que je devais acheter. Ils avaient prévu le coup et m’obligeaient ainsi à rester dans le magasin plus longtemps, alors que je chercherais un jouet de remplacement.

Sans avertissement, deux soldats miniatures, grands comme des enfants, surgirent au bout de l’allée. Leurs petites mains tenaient des épées colorées. Les lames étaient faites d’un matériau extra-terrestre biorganique plus tranchant qu’un rayon laser. Et ils couraient vers moi.

Adrénaline. Mon coeur se mit à pomper cette énergie puissante qui m’a sauvé la vie plus d’une fois. Les battements retentissaient dans mes oreilles, un peu comme une sirène d’alarme. Mon cerveau pensait plus vite que l’éclair. Le temps ralentissait. Ma vision captait, scrutait et analysait les moindres détails multicolores.

Essaie-moi.

Une boite bleue à demi ouverte, sur une tablette à ma droite, attira mon attention. De grosses lettres éclatantes sur un fond étoilé épelaient la solution.

Rétropistolet ionique multi-phase.

L’engin était emballé de façon à laisser la gâchette découverte, et une flèche rouge et or suggérait de l’essayer. Les petits soldats n’étaient qu’à quelques pas de me trancher.

D’un mouvement agile et vif, j’ai empoigné l’arme et l’ai dirigée vers eux, sans la sortir de sa boite. Le rétropistolet ne pesait presque rien et semblait avoir été conçu pour s’adapter aux petites mains de leurs soldats. J’ai visé le premier et, sans hésiter, j’ai appuyé sur la gâchette.

Un son aigu retentit, et j’ai reconnu l’oscillation caractéristique d’une arme ionique de puissance quatorze. Sur le côté du canon, une bande lumineuse clignota en même temps, indiquant que les phases étaient parfaitement alignées. Si le faisceau avait touché un humain, le pauvre aurait implosé sur-le-champ, laissant à sa place une motte grumeleuse fumante.

Mais ils étaient bien plus résistants.

Le premier soldat cessa de courir et me dévisagea d’un air surpris. Il n’aurait jamais cru que j’aurais eu l’audace d’utiliser une de leurs armes contre lui. L’autre se posta derrière, pour se protéger. J’ai profité de cette fraction de seconde d’hésitation de leur part pour m’emparer d’un deuxième rétropistolet et j’ai tiré de plus belle.

Les effets commencèrent à se faire sentir sur son petit corps. Il porta une main à son coeur et poussa un faible gémissement. Le deuxième soldat fronçait les sourcils, comme s’il ne comprenait pas ce qui était en train de se passer. En fait, moi non plus je ne savais pas ce qui était en train de se passer.

Le premier soldat commença à rire. Il leva son épée à bout de bras, montra ses crocs et gueula un cri de guerre. Mais cette attitude menaçante n’était pas pour moi… Il s’attaqua à son confrère! Le rétropistolet l’avait reprogrammé!

Les deux engagèrent alors un combat violent qui s’annonçait d’envergure épique. Je n’allais toutefois pas en observer le déroulement pour connaitre le vainqueur. Oh non. J’ai plutôt profité de ce revirement de situation pour m’enfuir par la sortie la plus proche. J’ai couru tellement vite qu’ils ont à peine eu le temps de faire ouvrir les portes coulissantes.

J’avais réussi à sortir vivant, mais j’avais échoué ma mission de repartir avec un jouet.

Je vais devoir revenir. D’ici là, j’achèterai des bas…

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4 commentaires sur “Toys « R » Them

  1. Des bas… Tout est dans les bas…

    C’est beau, c’est souvent doux, c’est relativement élastique. Voilà trois qualités que tu ne retrouves plus assez souvent dans la vie de tous les jours. Prenons une cafetière par exemple. Est-ce que c’est beau? Non! Est-ce que c’est doux? Zéro! Est-ce que c’est élastique? Jamais!

    Une cafetière. Tu parles d’un objet de merde!

  2. Je sais pas ce qui est plus dangereux. Affronter le magasin de jouets ou offrir des bas en cadeau à un enfant? Malgré votre mésaventure, la première option me semble moins menaçante.

  3. Ouf… j’ai tremblé tout le long du récit. 😉
    Je comprends mieux pourquoi je n’offre que
    des livres à mes 3 petits-fils.

    Cette histoire ferait un excellent court métrage…

  4. @Celui qui blogue: Effectivement, la cafétière est un méchant objet. Je ne bois pas de café pour cette raison.

    @Tridimensionnel: Ouin. Je n’ai pas le choix de retourner au magasin.

    @Oza Meilleur: Les livres sont une bonne idée. D’ailleurs, les miens peuvent aussi servir de bouclier si jamais un des leurs vous tire un rayon désintégrant.

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