Fuite verdoyante

Le sentier sinueux disparait au-delà de quelques arbres robustes. Le soleil perce les hautes branches à plusieurs endroits, éclaboussant le sol de petites taches lumineuses. Une brise effleure à peine les branches qui se bercent presque en silence. Une fleur jaune solitaire s’élève au-dessus de quelques fougères, alors que de gros cailloux gris semblent se protéger sous elles. Tout est calme et paisible et une cigale grince de satisfaction.

Je suis plus du type béton que gazon. Je préfère les foules aux foins, le métro au bouleau, le plastique aux moustiques. Mais cette forêt est relaxante. L’après-midi est agréable. La météo est parfaite. Et ça sent bon.

La nature m’enveloppe d’un silence rassurant… jusqu’à ce qu’un joggeur vienne gâcher cette paix avec ses bruits de pas rythmés. Au moins, il me dépasse rapidement et je peux me baigner à nouveau dans cette absence de soucis. Les plantes m’entourant sont comme une espèce particulière qui effectue sa photosynthèse en absorbant des problèmes. Un baume verdoyant sur les blessures qu’ils m’ont infligées.

Un autre joggeur vient encore interrompre mon petit moment magique. Et aussi une joggeuse. Ces sportifs ne pourraient-ils pas aller courir ailleurs? Encore un autre. Ce n’est pas parce qu’on porte des espadrilles suivant la dernière mode qu’on peut déranger tout le monde ainsi. Il y a certainement d’autres endroits pour courir. Les gymnases débordent de tapis roulants conçus spécialement pour cela.

Oh. Ces personnes ne font pas du jogging. Ces personnes se sauvent! Ils envahissent la forêt!

Le sentier tordu s’engouffre au-delà de quelques arbres menaçants. Le soleil n’arrive pas à percer complètement les hautes branches, laissant toute la liberté aux ombres de hanter les buissons. Le murmure sinistre du vent se faufile entre des feuilles figées d’angoisse. Une fleur flétrie tente d’échapper aux griffes de quelques fougères, alors que de pauvres cailloux usés semblent suffoquer sous elles. Tout est soudainement lourd et sinistre et une corneille croasse de malice.

Je cours déjà. Pas une seconde à perdre. Le sentier est de plus en plus étroit, les branches de plus en plus basses. Des racines tentent de me faire trébucher. Des buissons veulent m’agripper. Les mains déformées de dryades maléfiques se referment sur moi.

Je cours encore. De petites boules épineuses s’accrochent à mes vêtements. Sans doute des émetteurs pour leur permettre de suivre mes mouvements. Je les arrache et les lance loin derrière moi, sans ralentir. Je double un joggeur, mais je ne peux lui crier mes encouragements. Je garde mon souffle. L’orée de la forêt se dessine au loin.

Sprint final. Tel un athlète franchissant le fil d’arrivée, je traverse les quelques branches qui me séparaient de la liberté. J’effectue quelques pas de plus avant de m’effondrer, à bout d’énergie, à côté d’une voiture garée dans l’aire de stationnement.

Je me suis encore échappé. Sans me relever, je reprends mon souffle en savourant ma victoire. Je reste quelques instants étendu sur l’asphalte. L’asphalte apaisant.

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